D’ici 2030, notre façon de travailler sera méconnaissable. Selon le Future of Jobs Report 2025, 92 millions d’emplois vont disparaître… mais 178 millions verront le jour. Un bouleversement d’ampleur mondiale, porté par des mutations économiques, technologiques et sociales profondes. En première ligne de cette transformation ? Les professionnels des ressources humaines, dont le rôle se métamorphose à grande vitesse.
Face à l’essor fulgurant de l’intelligence artificielle, à l’arrivée massive de la génération Z sur le marché du travail, et au vieillissement démographique, une question sur toutes les lèvres : à quoi ressemblera le métier de RH demain ?
Réinvention ou disparition ? Stratégie ou accompagnement ? Explorons ensemble les contours d’une fonction en pleine (r)évolution.
Des services RH menacés ?
Des métiers jugés déconnectés du business
Les signaux d’alerte se multiplient et l’inquiétude monte dans les directions RH. Aux États-Unis, certaines entreprises de la tech ont d’ailleurs déjà franchi le pas : elles suppriment purement et simplement leurs services RH, confiant aux managers la gestion directe du recrutement, de l’onboarding ou encore de la performance. Une approche radicale, motivée par le besoin de réactivité et une volonté affichée de réduire la “bureaucratie RH”, jugée parfois déconnectée des réalités opérationnelles.
Ce phénomène, bien qu’encore marginal en France, interpelle. Prélude d’un effacement progressif de la fonction RH ? Début d’un repositionnement stratégique, plus centré sur l’accompagnement du changement que sur la gestion administrative ? Les débats sont ouverts.
Tendance ou mouvement de fond ?
En France, le contexte réglementaire et culturel joue un rôle de garde-fou. Les obligations légales liées à la GPEC, au dialogue social ou à la représentation des salariés rendent impensable, à court terme, une suppression totale des services RH. Par exemple, la loi impose une négociation triennale sur la gestion des emplois et des compétences dans les entreprises de plus de 300 salariés – un levier incontournable du pilotage RH.
Mais cette protection institutionnelle n’empêche pas les transformations de fond. Déjà, de nombreuses missions traditionnellement RH (gestion des congés, entretiens annuels, reporting RH) sont confiées aux managers, soutenus par des outils digitaux ou des SIRH de plus en plus puissants.
Une délégation progressive… mais stratégique
Ce glissement des responsabilités soulève des enjeux majeurs. Si les managers deviennent les premiers interlocuteurs RH, qui pilote la vision globale ? Qui s’assure de la cohérence des politiques RH avec les enjeux de RSE, d’inclusion ou de QVCT ? La fonction RH ne disparaît pas, mais elle change de forme : moins centrée sur l’opérationnel, davantage tournée vers la stratégie, l’analyse des données sociales et l’anticipation des transformations.
Autrement dit, les services RH sont bel et bien menacés… s’ils ne prennent pas le virage de la réinvention.
L’IA rebat les cartes des missions RH
C’est inévitable : les fonctions RH vont se transformer. Mais pas forcément de manière négative. Alors que 84 % des cadres considèrent les ressources humaines avant tout comme un service administratif (source : Baromètre 2024 Apec x ANDRH), l’IA représente une opportunité pour se débarrasser des tâches répétitives. Et repenser en profondeur les pratiques des RH au quotidien. Voici quelques-unes des évolutions à prévoir d’ici quelques années :
Un processus de recrutement automatisé
Le recrutement est propulsé dans une nouvelle ère par l’IA : celle de l’automatisation. De nouveaux outils innovants permettent d’optimiser chaque étape du processus, rendant la sélection des candidats plus rapide, plus pertinente et moins biaisée :
- La rédaction des annonces : des assistants rédactionnels alimentés par l’IA génèrent des offres d’emploi attractives, inclusives et adaptées à la cible recherchée ;
- Le sourcing intelligent : des algorithmes repèrent automatiquement les meilleurs profils sur les CVthèques, les réseaux sociaux professionnels ou encore les bases internes de talents ;
- Le tri des candidatures : le parsing (analyse automatisée des CV) et le matching (comparaison avec les critères du poste) proposés par des outils comme les ATS accélèrent considérablement la présélection ;
- Les entretiens d’embauche optimisés : des chatbots ou plateformes d’entretien vidéo analysent les réponses, le langage corporel ou les tonalités vocales pour évaluer les candidats de façon plus objective ;
- La sélection prédictive : l’analyse de données (performance, turnover, adéquation culturelle…) permet d’identifier les profils ayant le plus de chances de réussir et de s’épanouir dans l’entreprise ;
- L’évaluation des soft skills : grâce à des tests cognitifs, jeux de rôle virtuels ou simulations interactives, l’IA mesure plus finement les compétences comportementales (empathie, leadership, créativité) ;
- L’onboarding automatisé : le processus d’intégration peut également être digitalisé pour accueillir efficacement les nouvelles recrues dès le premier jour (parcours personnalisés, modules d’e-learning, suivi automatisé).
La gestion des compétences
Face à une mutation profonde des métiers, les services des ressources humaines ont une carte à jouer : accompagner la transition professionnelle et la montée des compétences des salariés (ce qu’on appelle l’upskilling ou le reskilling).
L’IA se positionne comme un outil idéal pour faciliter les parcours de formation. Grâce à l’analyse des données internes (compétences existantes, performances, aspirations professionnelles) et externes (évolution des métiers, besoins du marché), l’intelligence artificielle permet de proposer des parcours individualisés, adaptés aux besoins réels de l’entreprise et des collaborateurs.
Le suivi des collaborateurs
Performance au travail, suivi de l’engagement, mobilité interne : autant d’indicateurs que l’IA pourra surveiller et prédire. Grâce à des tableaux de bord intelligents, les équipes RH pourront disposer d’une vision en temps réel de l’évolution des collaborateurs, détecter les signaux faibles de désengagement, prévenir les risques de burn-out ou encore identifier les talents prêts à évoluer. Une petite révolution pour les ressources humaines, qui pourront piloter plus finement leur stratégie RH.
À quoi ressemble le RH du futur ?
Les nouvelles missions du RH
Les hypothèses quant à l’avenir des métiers des ressources humaines se multiplient, mais toutes s’accordent sur une chose : les tâches opérationnelles et administratives ne seront plus centrales à la fonction. L’automatisation va permettre aux RH de se recentrer sur des missions à forte valeur ajoutée :
L’élaboration et le pilotage de la stratégie RH
Demain, les RH ne seront plus de simples exécutants, cantonnés aux tâches administratives, mais des architectes du changement. Grâce aux données et à l’IA, ils piloteront des stratégies alignées sur les enjeux business, RSE et humains.
Fini la gestion au fil de l’eau : place à une fonction RH proactive, intégrée aux décisions, capable d’anticiper les mutations et de créer de la valeur durable.
La gestion de la marque employeur
Dans un marché en tension, attirer et fidéliser devient un levier stratégique incontournable. Demain, les RH seront ambassadeurs de la marque employeur, et devront se positionner comme garants de la culture d’entreprise, de l’expérience candidat/collaborateur et de la réputation de l’entreprise.
Le management des compétences
L’époque impose d’anticiper plus que de gérer, notamment face à l’obsolescence rapide des savoir-faire. Avec la GPEC, les RH passent d’une logique réactive à une stratégie d’anticipation des emplois et des compétences. Appuyés par la data et l’IA, ils pilotent l’adéquation entre les besoins futurs de l’entreprise et le développement des talents, via l’upskilling et le reskilling.
Le management du changement
Digitalisation, hybridation des modes de travail, IA : le changement est permanent. Les RH seront de véritables chefs d’orchestre, pour accompagner les transitions et engager les équipes. Ils devront transformer le changement pour en faire, non plus une contrainte, mais un levier d’innovation continu.
La gestion de la QVCT
Les fonctions RH devront se recentrer sur le care. Pilier de performance durable, ils seront chargés de veiller au bien-être, à la santé et à l’engagement des équipes. Un enjeu qui devient crucial à l’heure où plus de la moitié des salariés français se disent en détresse psychologique (source : Baromètre Empreinte humaine / Opinion Way). Prévenir les RPS (risques psychosociaux), détecter les signaux faibles via l’IA, repenser les rythmes et les environnements de travail : autant de leviers pour replacer l’humain au cœur de l’organisation.
Les compétences du RH du futur
Pour assurer ces nouvelles responsabilités, les ressources humaines devront conjuguer un large éventail de compétences, à la fois techniques et comportementales :
- Maîtrise de l’analyse de données et des outils d’IA prédictive : exploiter les données RH pour anticiper les besoins, détecter les tendances et optimiser les décisions stratégiques.
- Capacités en marketing RH et communication interne/externe : valoriser la marque employeur, attirer les talents et favoriser l’engagement des collaborateurs par des actions de communication ciblées et authentiques.
- Leadership face au changement, intelligence émotionnelle, agilité : accompagner les transformations, gérer les émotions et les tensions, faire preuve de souplesse et de réactivité dans un environnement en constante évolution.
Des nouveaux métiers RH qui émergent
Qui dit fonction qui se transforme, dit aussi nouveaux métiers qui apparaissent. Le RH ne rimera plus avec paie, formation ou licenciements – des clichés qui ont la vie dure. Le métier va tendre à se diversifier, en proposant un champ d’action plus large.
- Le RH business partner : Interlocuteur stratégique des managers, il accompagne les décisions opérationnelles en alignant les enjeux humains sur les objectifs de l’entreprise.
- Le data privacy officer : Garant de la conformité RGPD, il veille à la protection des données personnelles des collaborateurs et à la sécurisation des processus RH.
- Le data analyst RH : Spécialiste de la donnée, il analyse les indicateurs RH (turnover, absentéisme, performance) pour éclairer la prise de décision et anticiper les besoins.
- Le chief happiness officer : Ambassadeur du bien-être au travail, il conçoit des actions pour améliorer l’engagement, la motivation et la qualité de vie des salariés.
- Le responsable diversité : Il promeut l’inclusion et l’égalité des chances en entreprise, en mettant en place des politiques pour valoriser la diversité sous toutes ses formes.
Et plein d’autres encore…
Anticiper les transformations : la clé pour les RH
L’étude PwC révèle un chiffre marquant : 95 % des responsables RH considèrent désormais que leur fonction est un actif stratégique pour l’entreprise. Un virage décisif est en cours : celui d’une fonction RH qui ne subit plus le changement, mais qui l’anticipe, l’analyse et le pilote.
Pour rester pertinentes et créer de la valeur dans un monde du travail en mutation, les ressources humaines doivent donc prendre de l’avance.
Se former en continu : un impératif
Face à l’évolution rapide des technologies, des attentes des collaborateurs et des modèles d’organisation, la montée en compétences devient incontournable. Les professionnels RH doivent investir dans leur propre formation pour rester au niveau : IA, data RH, droit du travail, gestion du changement, QVCT, inclusion, nouvelles formes de travail…
Il ne s’agit plus simplement de suivre une formation tous les cinq ans, mais d’adopter une logique d’apprentissage continu, à travers des formats variés (MOOC, coaching, communautés apprenantes, conférences, podcasts spécialisés…). Se former, c’est aussi mieux accompagner les autres dans leurs propres trajectoires professionnelles.
Co-construire avec la direction et les managers
Anticiper les transformations ne peut reposer uniquement sur les épaules de la fonction RH. C’est un travail collectif, qui implique une collaboration étroite avec la direction générale, les managers de terrain, les instances représentatives du personnel, voire les partenaires sociaux et les collaborateurs eux-mêmes.
Les RH doivent co-construire des trajectoires d’adaptation avec les décideurs, tout en gardant une posture d’alerte et de conseil stratégique. En étant force de proposition, ils deviennent le trait d’union entre la stratégie globale de l’entreprise et les aspirations individuelles des salariés.
Adopter une posture d’explorateur
Enfin, anticiper les transformations, c’est accepter une part d’inconnu. Dans un monde où tout s’accélère, la certitude devient un piège. Les RH doivent oser tester, expérimenter, remettre en question leurs pratiques. Cela suppose une curiosité active, une écoute des signaux faibles, une capacité à s’inspirer de ce qui se fait ailleurs, dans d’autres entreprises, secteurs ou pays.
C’est en cultivant cette posture d’explorateur que les RH pourront devenir des pionniers du changement, plutôt que ses victimes.