On l’entend partout : dans les articles, les vidéos, les forums… Critiquer son ancien employeur en entretien est une erreur à éviter à tout prix.
Pourquoi ? Parce que cela peut donner une image négative de vous, vous faire rater des opportunités ou vous faire passer pour quelqu’un qui manque de professionnalisme.
Et si on changeait de regard ? Et si, au lieu de voir cette critique comme un écueil, on la considérait comme une opportunité ? Un révélateur précieux des attentes des candidats, notamment en matière de management ?
Et si, finalement, ce moment délicat devenait un levier d’écoute et de compréhension pour mieux recruter et mieux manager ? On ouvre le débat dans cet article.
Critiquer vs dénigrer : une frontière fine mais essentielle
Réhabiliter la critique dans le monde professionnel
La critique est trop souvent perçue comme négative. Pourtant, telle qu’elle est définie par le dictionnaire, elle consiste à « donner un jugement, une appréciation » – et celle-ci n’est pas forcément pernicieuse. Un critique d’art ou de cinéma ne se contente pas d’émettre de mauvais avis sur les films qu’ils regardent : il construit un argumentaire structuré pour analyser une oeuvre.
Pourquoi la critique constructive ne pourrait-elle pas s’appliquer à nos précédentes expériences professionnelles ? Il n’est pas question ici de dénigrer – c’est-à-dire rabaisser pour nuire ou faire du mal – mais de porter un regard critique sur les pratiques managériales ou l’organisation. Pointer du doigt les défauts structurels ou les erreurs humaines pourrait, au contraire, être le signe d’un esprit analytique.
Mais où se situe concrètement la frontière ?
Pour mieux comprendre, voici quelques exemples :
Dénigrer → ”Mon ancien manager était incompétent, il ne comprenait rien à rien.”
Critiquer → ”Mon précédent manager manquait parfois de clarté dans ses directives, ce qui pouvait nuire à l’efficacité de l’équipe.”
Dénigrer → ”L’entreprise était totalement désorganisée, c’était du grand n’importe quoi.”
Critiquer → ”Il y avait un vrai manque de coordination entre les départements, ce qui créait des doublons et ralentissait les projets.”
Dénigrer → ”Les collègues étaient tous toxiques, je ne voulais plus leur parler.”
Critiquer → ”Le climat de travail était tendu, avec peu d’échanges constructifs entre collègues, ce qui rendait la collaboration difficile.”
La critique constructive s’appuie sur des faits, propose une analyse, et ouvre la porte à des pistes d’amélioration. Le dénigrement, lui, juge sans nuance, attaque les personnes, et ferme le dialogue.
Dénigrement de l’employeur : ce que dit la loi
En droit français, critiquer une entreprise ou un ancien employeur n’est pas interdit, tant que cela reste dans les limites de la liberté d’expression et de la bonne foi. En revanche, le dénigrement relève d’un tout autre registre : il peut être qualifié de faute et exposer son auteur à des poursuites judiciaires, notamment pour diffamation ou dénigrement commercial.
La jurisprudence est claire : un salarié ou un ancien salarié ne peut pas porter atteinte à la réputation de son employeur par des propos excessifs, mensongers ou malveillants. Cela vaut aussi bien dans les médias que dans le cadre privé ou d’un entretien d’embauche, surtout si les propos sont tenus dans un esprit de vengeance ou d’hostilité manifeste.
À l’inverse, faire part de manière factuelle de dysfonctionnements, de désaccords ou de difficultés rencontrées dans une entreprise ou avec un manager ne tombe pas sous le coup de la loi. C’est la dimension intentionnelle et la véracité des propos qui font toute la différence entre une critique licite et un dénigrement répréhensible.
En clair : on peut critiquer, mais pas attaquer gratuitement. Le bon sens, la mesure et l’objectivité restent les meilleurs alliés pour s’exprimer librement, sans risquer de franchir la ligne rouge juridique.
La critique constructive : un levier pour mieux recruter
Pourquoi un candidat ne pourrait-il pas justifier son départ à cause d’un manager toxique ? Pourquoi serait-il obligé de dire qu’ils n’étaient « pas sur la même longueur d’onde » ? Au nom d’un dogme tacite – ne pas critiquer son ancien employeur -, il faudrait donc arranger la vérité pour ne pas se faire mal voir. Pourtant, comprendre les raisons du départ d’un salarié est indispensable pour mieux recruter.
Dénoncer des comportements illégaux
Il ne s’agit en aucun cas de régler ses comptes ou de se plaindre à tout prix, mais de nommer clairement ce qui relève de l’abus, de l’illégalité ou de la maltraitance au travail.
Harcèlement moral ou sexuel, discrimination, pression illégitime, non-respect du droit du travail : ces réalités doivent pouvoir être évoquées, y compris en entretien de recrutement. Refuser de les entendre sous prétexte de préserver l’image d’une entreprise ou de rester « professionnel » revient à invisibiliser des pratiques destructrices.
Permettre aux candidats de dénoncer des comportements illégaux, c’est aussi faire preuve de maturité et de responsabilité. C’est reconnaître que certaines situations justifient un départ, et qu’en parler ne fait pas de la personne un « élément à problème », mais bien quelqu’un qui pose des limites saines. Cela permet au recruteur d’avoir une vision plus juste du contexte et d’éviter les jugements hâtifs. Mieux encore, cela envoie un signal fort : ici, on écoute, on respecte et on valorise la transparence.
Mieux comprendre les candidats
Le candidat en face vous critique le style de management de son ancien supérieur hiérarchique ? C’est une occasion toute trouvée pour comprendre ce qui ne fonctionnait pas pour lui, dans quel environnement de travail il s’épanouit le plus, quelles sont les qualités qu’il attend chez un manager.
Autant d’éléments qui vous permettent de déterminer si un candidat pourra correspondre à votre culture d’entreprise et s’intégrer à vos équipes. Obtenir ce feedback de la part du candidat, c’est se faire une idée plus précise de sa personnalité, ses qualités et son adaptabilité. Plutôt essentiel quand on cherche à recruter un profil !
Établir une relation de confiance
Créer un climat de confiance en entretien permet au candidat de s’exprimer avec sincérité, y compris sur ses expériences difficiles. Loin de fragiliser le dialogue, cette ouverture le renforce.
Écouter sans juger, c’est montrer que l’entreprise valorise la transparence, l’authenticité et l’échange constructif. C’est aussi le meilleur moyen de cerner les attentes du candidat, ses valeurs et son rapport au travail – autant d’éléments clés pour un recrutement réussi.
Évaluer les softs skills des candidats
Un candidat critique une ancienne expérience ? C’est une chance de voir au-delà du CV. Comment a-t-il géré un conflit ? Quelle posture a-t-il adoptée face à un management qu’il ne comprenait pas ? Ses réponses révèlent sa capacité d’adaptation, son esprit critique, sa gestion des émotions. Autant de soft skills clés, qui vous permettront de savoir s’il pourra potentiellement rejoindre votre entreprise.
Poser les bonnes questions, c’est transformer une critique en éclairage précieux sur sa personnalité et son potentiel.
La transparence : un contrat mutuel
Candidats, recruteurs : jouons tous cartes sur table. Exiger des entreprises qu’elles soient plus transparentes dans leur communication tout en demandant aux candidats de mentir sur leurs expériences passées manque de logique.
Il n’est plus possible d’attendre des candidats qu’ils mentent par omission, juste parce que les recruteurs ne veulent pas entendre la vérité.
En 2025, la transparence doit être au centre de la relation professionnelle. Elle ne peut être à sens unique. Si l’on prône l’honnêteté, la responsabilité et la bienveillance dans les entreprises, alors il faut les incarner dès le processus de recrutement.
Cela signifie accepter d’entendre des retours, même critiques, sur d’autres structures – voire sur la sienne, lorsque des ex-collaborateurs s’expriment. Cela signifie aussi considérer le vécu professionnel d’un candidat dans toute sa complexité : ses succès, ses difficultés, ses apprentissages. Et si écouter, c’était déjà commencer à mieux manager ?